Notre collègue Anna Mazgal située à Bruxelles et qui travaille pour le Free Knowledge Advocacy Group EU* a écrit un article très intéressant sur l’adoption, sans vote en séance plénière, du règlement européen contre la diffusion des contenus terroristes en ligne. En voici la traduction.
TERREG : une adoption sans vote — ce qu’il faut en attendre et ce que cela signifie
Le règlement relatif à la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne (TERREG) a été adopté sans vote final grâce à une particularité dans la procédure du Parlement européen. Les dangers du filtrage des contenus, de leur contrôle excessif par les acteurs étatiques et privés, et les prérogatives transfrontalières des gouvernements deviendront désormais des lois sans un cachet définitif des élus des citoyens européens.
Ce qu’il s’est passé (et ce qu’il ne s’est pas passé)
Un débat en séance plénière était prévu pour discuter une dernière fois du projet de loi. Cependant, la liste de vote publiée pour le règlement relatif au contenu terroriste spécifiait qu’il serait approuvé sans vote final. Un texte qui entre en soi-disant «deuxième lecture» – comme l’était le dossier en question – est considéré comme «approuvé sans vote», à moins que l’un des groupes politiques ne demande expressément un vote en plénière. Aucun d’entre eux ne l’a fait, ainsi TERREG est considéré comme adopté et entrera en vigueur 12 mois après sa publication au Journal officiel de l’UE.
Le 20 avril, la commission LIBE a adopté, ce qui est maintenant le texte final, avec 52 voix en faveur du projet de loi, dont l’eurodéputée néerlandaise Sophia in ‘t Veld. Les 14 voix qcontre provenaient principalement de membres des Verts, notamment le shadow rapporteur du texte Patrick Breyer, et de la gauche.
Très probablement, les votes en plénière, composée de 705 députés, auraient également été en faveur du projet de loi. Le chemin pour parvenir à un texte de compromis était difficile. Les propositions surprenantes de la présidence allemande se sont accompagnées d’un manque de compréhension parmi les décideurs politiques concernant les structures d’incitation qui conduiraient les plates-formes à déployer des systèmes de filtrage de contenu. Il semble que les eurodéputés étaient sceptiques quant à la possibilité de trouver un meilleur compromis et ont donc estimé que cette version finale devrait être adoptée.
Les bons et les mauvais points du règlement sur le contenu terroriste
Il est juste de dire que l’accord obtenu en décembre 2020 lors des trilogues est meilleur que la proposition originale publiée par la Commission européenne au début du processus en 2018. Cela ne rend pas pour autant la version finale aussi proportionnée et protectrice de la liberté d’expression comme nous l’avons défendu.
Le texte final est encore trop vague et enfreint les droits fondamentaux notamment ceux d’exprimer des opinions politiques et d’accéder à l’information. Le règlement comprend des exceptions pour les journalistes, à des fins artistiques et éducatives, mais celles-ci dépendent de l’interprétation des gouvernements nationaux d’une part, et, d’autre part, de la législation nationale déterminant ce qu’est le journalisme ou l’expression artistique. Ce qui signifie que le règlement pourrait être appliqué de manière différente et incohérente au sein des différents états membres de l’UE. La législation oblige également les plateformes à répondre à une injonction de retrait du contenu dans un délai d’une heure. Les autorités n’ont pas le droit d’imposer des filtres de téléchargement – mais les fournisseurs de services d’hébergement peuvent toujours les utiliser volontairement. Confrontées à des délais très courts et à des amendes excessives en cas de non-conformité, de nombreuses plateformes préfèrent éviter de recevoir des injonctions, et la tentation de se conformer rapidement à la loi en déployant des filtres de contenu – qui ne tiennent pas compte du contexte et suppriment les faux positifs – peut être trop grande pour résister.
Cela affectera-t-il le Digital Services Act (DSA) ?
Le règlement TERREG, tout comme la directive sur le droit d’auteur, adoptée en 2019, réglementera un type d’information spécifique. En tant que tel, il ne sera pas beaucoup affecté par les futures dispositions du DSA qui traite de la modération du contenu, à un niveau bien plus général.
Cela dit, nous devons également comprendre qu’il y a des députés européens et des États membres qui souhaiteraient que le DSA ait une plus grande emprise sur les plates-formes que ce que la Commission européenne a proposé. Le règlement européen contre les contenus terroristes peut donc, malheureusement, être une source d’inspiration pour toutes sortes d’amendements et de propositions de compromis dans les prochains travaux des commissions du Parlement européen ainsi que dans les débats du Conseil de l’UE.
Mais la position du mouvement Wikimedia dans ce contexte reste clair : la loi devrait promouvoir la capacité des gens à collaborer en ligne et à prendre des décisions communes sur la qualité de l’information. Les députés devraient tirer les leçons de la débâcle de TERREG et œuvrer pour des règles qui protègent la capacité des communautés en ligne à s’engager dans la modération du contenu et l’autogouvernance quand elles ont démontré qu’elles peuvent le faire efficacement.
A propos du Free Knowledge Advocacy Group EU
Le Free Knowledge Advocacy Group EU est le groupe de travail du mouvement Wikimédia sur la politique et la législation de l’UE. Ce groupe d’une trentaine de volontaires actifs est coordonnés par deux salariés – Anna Mazgal et Dimi Dimitrov. Il est soutenu et financé par plusieurs chapitres (associations nationales) européens comme Wikimédia France.