Quel est le véritable objectif de la loi Séparatisme ?
Depuis son passage en commission spéciale à l’Assemblée nationale en janvier 2021 et sa publication au Journal officiel en août dernier, nous n’avons pas arrêté d’entendre que la loi confortant le respect des principes de la République, dite loi Séparatisme, avait pour objectif principal de réguler les réseaux sociaux. Il s’agissait en effet de refaire – à la va-vite – un projet de loi contre les contenus haineux car le précédent a été, en très grande partie, déclaré contraire à la constitution de notre pays. Le temps perdu suite à l’échec de la loi Avia ne laissait donc plus trop de choix pour avoir un texte concernant la modération des contenus haineux en ligne avant la fin de la législature. Faute de mieux, l’État français a copié sur son voisin européen en sur-transposant le Digital Services Act au sein d’un unique amendement – devenu désormais l’article 42. Cela a fonctionné cette fois-ci, le Conseil constitutionnel ne s’étant pas prononcé sur cette disposition. La loi entrera donc en vigueur dans les prochains mois.
Une loi imaginée pour modérer les réseaux sociaux…
Différentes captures de grands titres de presse française pour qui la loi Séparatisme est synonyme de modération des réseaux sociaux.
Durant les débats, les plateformes mentionnées étaient quasiment à chaque fois Facebook, Instagram, Twitter, YouTube et TikTok. Le législateur pointait du doigt les problèmes causés à la société par ces différents acteurs. Il est vrai que personne ne peut nier ces problèmes, ni les avancées en matière de liberté d’expression et d’information. Loin de nous l’idée que Wikipédia serait le bon élève et les autres plateformes les mauvais élèves. Wikipédia à ses propres défis (comme les graves dysfonctionnements de la Wikipédia en chinois évoqués hier) mais la lutte contre les contenus haineux n’en fait pas partie.
… mais qui fera que Wikipédia sera plus régulé que Twitter !
Mais une incongruité demeure, pour ne pas dire une aberration. La loi française prévoit deux catégories de sites web : les grandes et très grandes plateformes. La deuxième catégorie d’acteurs ayant plus d’obligations. Ces catégories sont composées à l’aide d’un décret qui fixe les seuils du nombre de visiteurs uniques par mois par plateforme. Le projet de décret vient d’être publié sur le site du Ministère de la Culture. La première catégorie sera donc composée des plateformes ayant plus de 10 millions de visiteurs uniques par mois et la deuxième ayant plus de 25 millions de visiteurs uniques par mois.
Viralité VS visiteurs uniques
Raisonner uniquement en terme de visiteurs uniques sans rajouter d’autres caractéristiques telles que la viralité ou le modèle économique, amène un texte destiné à lutter contre la haine en ligne à rajouter plus d’obligations à Wikipédia qu‘à Twitter. Absurde, non ? Twitter, qui est l’une des cibles principales et originelles de ce projet de loi, arrive à échapper au deuxième seuil d’obligations, les plus importantes. Car oui, le réseau social Twitter a deux fois moins de visiteurs uniques par mois que l’encyclopédie Wikipédia. Voilà pourquoi depuis des mois Wikimédia France tire le signal d’alarme. Or nous le savons maintenant, il est trop tard. Il n’y a quasiment plus de marge de manœuvre pour réaliser un décret conforme à la loi et conforme à l’objectif du législateur. Mais nous ne sommes pas sûrs que le législateur se satisfasse que Wikipédia soit plus régulé que Twitter.
- Est-ce que Wikipédia doit payer pour les autres ?
- Est-ce que les bénévoles et salariés qui bâtissent Wikipédia depuis 20 ans doivent regretter de jouer dans la cour des grands en proposant une alternative aux géants du web ?
- Ne faudrait-il pas en premier lieu, mieux définir la notion de réseau social ?