Traduction de l’article « The power of free knowledge » de Geoff Brigham, conseiller juridique de la Wikimedia Foundation, publié le 29 mars 2012.
Après le récent blackout destiné à lutter contre SOPA/PIPA, de nombreux médias ont décrit le débat comme une lutte d’influence entre la Silicon Valley et Hollywood. Sous cet exposé à courte vue, se cache la vérité, à savoir que les millions d’utilisateurs réguliers d’internet qui ont appelé leurs représentants au Congrès et leur ont écrit ont ainsi donné une voix collective à leur demande au Congrès de ne pas adopter, sous la dictée de l’industrie, une législation qui nuirait à un web libre et ouvert. Ils se sont manifestés pour soutenir ces sites web innovants et ces communautés en ligne qui sont possibles uniquement à travers un libre échange d’idées et d’informations.
Le Congrès, les médias et beaucoup d’autres ne comprennent ou n’apprécient pas toujours le sens et la puissance du mouvement pour la connaissance libre ni la communauté qui le nourrit et le porte. C’est pourquoi nous voulons offrir un résumé de ce qu’est la connaissance libre. Une grande partie en sera familière aux contributeurs des projets Wikimédia et à nos homologues de la communauté pour la connaissance libre, mais nous espérons que cela puisse être utile à nos autres lecteurs – et législateurs – qui n’ont pas encore exploré la question ou qui ont été surpris par les réactions en retour lorsqu’ils l’avaient tout à fait ignorée.
Comme vous pouvez l’imaginer, nous sommes très enclins à protéger l’internet, qui facilite largement la libre circulation de la connaissance, et nous sommes méfiants lorsque certains cherchent à le pilonner par une législation favorable à leurs intérêts privés et exempte de toute réflexion qui soit adaptée aux valeurs vitales pour notre mission.
Ce qu’il faut savoir sur la connaissance libre
La mission de la communauté pour la connaissance libre est de créer et de partager des ressources informationnelles et des œuvres culturelles en pleine conformité avec les lois sur le copyright [et les droits d’auteur]. En offrant leurs travaux [ou œuvres ; works], leurs créateurs garantissent toutefois cinq libertés : liberté d’utiliser, liberté d’étudier, liberté de copier, liberté de redistribuer et liberté d’améliorer les travaux [ou œuvres] en question ((Dans le sens plein du terme, « libre » signifie « liberté d’utiliser les travaux [l’œuvre ; work] et de jouir des avantages de leur utilisation ; liberté d’étudier les travaux [l’œuvre ; work] et d’appliquer les connaissances acquises à partir de ceux-ci ; liberté de faire et diffuser des copies, en totalité ou en partie, de l’information ou de la création ; liberté d’apporter des changements et des améliorations, ainsi que de distribuer des œuvres dérivées ». Voir http://freedomdefined.org/Definition.)). Des auteurs, artistes, photographes, chercheurs, et d’autres, qui ont rejoint partout dans le monde la communauté pour la connaissance libre se sont engagés en faveur de ces libertés, et à leur tour ils produisent des médias que des centaines de millions de gens peuvent utiliser. Le résultat, ce sont des matériaux sous licence libre précieux pour l’éducation, l’entreprise, la technologie, la science et la culture dans le monde entier.
Les créateurs de la communauté pour la connaissance libre sont en fait titulaires de droits d’auteur, exactement comme les créateurs de l’industrie des médias, mais contrairement à ce qui se pratique dans la plupart des industries, les créateurs de la communauté pour la connaissance libre ont la volonté de favoriser le progrès et l’innovation en plaçant leurs travaux sous licence libre et donc de mettre leurs créations à disposition de tous librement.
La communauté pour la connaissance libre est présente partout dans le monde, elle est diverse et en continuelle croissance. Près de 200 millions de travaux [d’œuvres] librement accessibles sont désormais disponibles et le nombre de contenus nouveaux placés sous licence libre augmente rapidement ((En 2003, les licences Creative Commons existaient seulement depuis un an et elles concernaient moins d’un million de documents. Sept ans plus tard, en 2010, ce chiffre s’élevait à un total de plus de 400 millions. Plus de 40% de ces travaux sont entièrement libres ou ouverts. Voir Mike Linksvayer, « The Power of Open: over 400 million CC-licensed works, with increasing freedom », Creative Commons, 27 juin 2011.)). Beaucoup d’organisations ((En 2011, Creative Commons a recueilli les récits de membres de la communauté pour la connaissance libre ; à consulter en ligne : http://wiki.creativecommons.org/The_Power_of_Open/Text.)) ont maintenant d’importants dépôts de contenus sous licence libre, parmi lesquelles C-Span ((C-Span place ses vidéos sous licence Creative Commons Attribution 3.0 sur YouTube.)), YouTube ((YouTube permet maintenant à chacun de mettre ses contributions sous licence Creative Commons Attribution. Voir Jane Park, « YouTube launches support for CC BY and a CC library featuring 10,000 videos », Creative Commons, 2 juin 2011.)), Vimeo ((Vimeo permet de sélectionner les vidéos utilisant une licence Creative Commons : « Nos membres adorent utiliser les licences Creative Commons, afin de retravailler les contenus, les remixer et réinventer. C’est pourquoi nous avons construit toute une nouvelle section pour vous aider à découvrir des vidéos disponibles sous licences Creative Commons. » Voir http://vimeo.com/new.)) et Flickr ((Flickr permet aux utilisateurs de mettre leurs photographies sous licence Creative Commons. Voir http://www.flickr.com/creativecommons.)). Wikipédia offre plus de 21 millions d’articles en 283 langues (( Key Facts about Wikipedia, janvier 2012 (pdf). Les statistiques prenant en compte toutes les versions linguistiques de Wikipédia sont disponibles ici : http://stats.wikimedia.org/EN/TablesWikipediaZZ.htm.)). La communauté Wikipédia est construite sur le travail de centaines de milliers de contributeurs du monde entier. Wikimedia Commons accueille plus de 12 millions de fichiers, dont plus de dix millions d’images et de photographies, plus de cent mille fichiers son et plus de vingt mille scans de documents sous licence libre ou dans le domaine public ((https://commons.wikimedia.org/wiki/Commons:MIME_type_statistics.)).
Ces travaux sont tous disponibles pour les citoyens, les entreprises, les bibliothèques, les chercheurs et les institutions culturelles, sans frais. Une recherche commence souvent avec des résumés de Wikipédia et des listes de références renvoyant en lien à des sources primaires ((Sook Lim, « How and Why Do College Students Use Wikipedia? », Journal of the American Society for Information Science and Technology, novembre 2009 ; les résultats d’enquêtes aditionnelles ont été analysés en 2010, montrant que les étudiants continuent à utiliser Wikipédia comme une source de recherche. Voir Alison J. Head and Michael B. Eisenberg, « How today’s college students use Wikipedia for course–related research », First Monday, volume 15, numéro 3, 1er mars 2010.)). Les spécialistes comptent sur la connaissance libre aussi bien que sur les moteurs de recherche internet et les bases de données des publications savantes. Les bibliothèques contribuent à la diffusion de la connaissance libre et permettent de toucher de nouveaux publics ((Steve Kolowich, « Wielding Wikipedia », Inside Higher Ed, 5 avril 2011.)). Les enseignants s’appuient sur des documents écrits et des photographies pour préparer leurs classes à des coûts minimes, où qu’ils soient dans le monde.
La libre diffusion des connaissances donne aux entreprises et aux entrepreneurs un accès à faible coût à un immense champ d’informations sur de nombreux sujets. Les entreprises économisent de l’argent sur la recherche et ont un accès instantané à l’information à partir d’un large éventail de perspectives ((Une étude a montré qu’à des fréquences d’édition plus élevées d’un article de Wikipédia sur une entreprise correspondait une réduction des erreurs d’analyse, ce qui suggère que la fréquence d’édition serait une indication de l’attention que porte le public à cette entreprise. Amir Rubin and Eran Rubin, « Informed Investors and the Internet », Journal of Business Finance & Accounting, 37: 841–865, 2010 (doi: 10.1111/j.1468-5957.2010.02187.x).)). La connaissance libre est particulièrement bénéfique aux petites entreprises qui autrement ne pourraient pas s’offrir le matériel de recherche adéquat : elle réduit les barrières à l’entrée en activité et encourage l’innovation ((Plus généralement, voir Wouter Tebbens, Hinde ten Berge et David Jacovkis, The Knowledge Society: a freedom-centered perspective, intervention présentée à la Free Culture Research Conference, Berlin, 2010.)).
Des contenus libres sont fréquemment intégrés à d’autres services. Les articles de Wikipédia sont réutilisés par des produits et des services commerciaux ((Voir les lignes directrices de Wikipédia pour la réutilisation du contenu décrites ici : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipédia:Citation_et_réutilisation_du_contenu_de_Wikipédia.)), allant de Facebook et Amazon.com aux sites web de la BBC ((BBC Music, BBC Wildlife Finder et encore d’autres sites de la BBC intègrent des contenus provenant de Wikipédia. Voir Yves Raimond, Tom Scott, Silver Oliver, Patrick Sinclair et Michael Smethurst, Use of Semantic Web Technologies on the BBC Web Sites, Linking Enterprise Data, 2010. Facebook réédite également des contenus d’articles de Wikipédia. Voir Jane Park, « Wikipedia on new Facebook community pages », 21 avril 2010 ; et pour une liste des centaines de sites qui réutilisent le contenu de Wikipédia, voir https://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Mirrors_and_forks/All. — Pour un public francophone, on peut aussi mentionner l’exemple emblématique du site de la Bibliothèque nationale de France data.bnf.fr qui reprend également des contenus issus de Wikipédia (N.d.T.))). Des milliers d’images issues de Commons ont été republiées dans des livres, des journaux et d’autres médias ((https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Commons_as_a_media_source.)). Les journalistes ont un accès immédiat à des photographies informatives et percutantes provenant de toute la planète, et les développeurs de logiciels peuvent incorporer à leurs applications des médias, du contenu encyclopédique ou des entrées de dictionnaire, sans payer aucun frais ((Des centaines d’applications proposées sur les sites d’Apple, de Google et d’Amazon reprennent des contenus sous licence libre provenant des projets Wikimédia.)). La connaissance libre offre aux chercheurs un corpus de travaux leur permettant d’en apprendre davantage dans leur domaine d’intérêt et de participer à leur tour à l’innovation, à l’élaboration de nouvelles théories et à de nouvelles découvertes ((http://meta.wikimedia.org/wiki/Research)).
Comme indiqué précédemment, l’engagement à la collaboration et au partage est au cœur du mouvement pour la connaissance libre. Ces idéaux ne sont pas nouveaux et ils sont conçus pour compléter et profiter à notre système actuel de droits d’auteur en créant l’opportunité de nouvelles œuvres originales et d’améliorations d’œuvres existantes ((L’article I, section 8, clause 8 [de la Constitution américaine, relatif aux droits d’auteur et appelé Copyright’s Clause (N.d.T.)], formule comme premier objectif de « promouvoir le progrès des sciences et de l’invention… ». La communauté pour la libre connaissance abandonne volontairement l’exclusivité de ses droits sur un bien, le faisant devenir commun et public, pour promouvoir innovation, imitation, émulation, accroissement du patrimoine culturel, processus démocratique et autres avantages que peut apporter la liberté. En effet, la Cour suprême a toujours estimé que l’objectif ultime du Copyright’s Clause était de « stimuler la créativité artistique pour le bien public en général ».)). Internet doit aujourd’hui faciliter une innovation continue basée sur des œuvres sous licence libre ou appartenant au domaine public : en fin de compte, c’est un outil visant à faciliter ces importantes interaction, communication et collaboration, ce qui stimulera l’innovation et mettra en valeur la libre circulation de la connaissance. C’est pour cette raison que nous exhortons les lecteurs et le Congrès à considérer les valeurs d’un internet ouvert et libre, qui renforce tous les avantages de la libre circulation de la connaissance pour nos concitoyens, entreprises, bibliothèques, chercheurs et organismes culturels.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire les pages consacrées aux contenus libres sur Wikipédia ou bien à visiter le site Creative Commons ((les organisations impliquées dans le mouvement pour la libre diffusion de la connaissance comprennent Creative Commons, la Free Software Foundation, Public Knowledge, l’Electronic Frontier Foundation, le Center for Democracy and Technology, l’Open Knowledge Foundation et Knowledge Ecology International.)).
Geoff Brigham, avocat en chef
Stephen LaPorte, assistant juridique