L’accueil des spécialistes constitue un sujet récurrent sur Wikipédia, nourri régulièrement par les réactions outragées de spécialistes à qui on demande de justifier leurs ajouts par des références à la littérature scientifique et non à leur qualité.
Un format exigeant
Dans la théorie comme dans la pratique, écrire un article sur Wikipédia constitue un exercice souvent plus exigeant que l’écriture d’un article de recherche. Dans ces derniers, il n’est pas rare de voir mêlés les conclusions de la littérature et celles de l’auteur, des références à un consensus général du champ sur un point donné ou encore des références imprécises (en économie, il est rare de donner la pagination précise pour un résultat dans un article). Rien de tout cela dans Wikipédia : les avis personnels sont à bannir et les références précises sont demandées. Un article de bonne tenue sur Wikipédia exige donc une recherche documentaire au moins égale à celle d’une bonne revue de littérature.
L’exercice est d’autant plus complexe que l’exercice de synthèse et de vulgarisation qu’impose la rédaction d’un article encyclopédique est inhabituel pour de nombreux chercheurs. Il s’agit d’être à la fois précis et accessibles, sur des sujets complexes et demandant parfois un important prérequis qu’on ne peut supposer au lecteur. C’est évidemment très formateur mais également très ardu pour qui veut « simplement » corriger une erreur et va être tenté de faire cela en insérant un fragment de son cours. S’ajoute à cela un problème de ton, l’exigence de neutralité s’étendant au style attendu alors que cours comme articles de recherche peuvent faire la part belle aux opinions tranchées.
La syntaxe particulière du wiki représente une troisième barrière à l’entrée. Si les modèles pour la bibliographie sont d’une immense utilité pour les contributeurs chevronnés, leur utilisation n’est pas intuitive.
Que peut alors faire un chercheur qui souhaiterait participer un peu à Wikipédia ?
Commencer par lire
De même que nous avons appris à rédiger des articles de recherche en les lisant, il n’est sans doute pas de meilleure introduction à ce que doit être un article que la lecture d’un « bon article » ou d’un « article de qualité », deux labels distinguant des articles répondant à un certain nombre de critères. Si on peut critiquer le formalisme de la procédure de labellisation, force est de constater que l’essentiel des articles promus font effectivement honneur à l’encyclopédie et surtout constituent un bon modèle à la fois sur le plan de l’organisation, du style et des outils techniques.
Je vous invite donc à aller parcourir la liste des articles, en trouver un qui vous intéresse (dans votre spécialité ou non, à ce stade ce n’est pas l’essentiel) et le lire avec attention dans l’idée d’un modèle plus que pour le contenu.
Écriture : le choix du sujet
Wikipédia dispose de nombreux moyens de circulation. En plus des hyperliens, il existe des catégories, visibles au bas des articles, ainsi que des portails, dont les palettes sont généralement elles aussi en bas des articles, ainsi que sur les pages de discussion (deuxième onglet en haut de la page).
En parcourant la liste des articles de la plupart des projets, une chose frappe : les articles de bonne tenue sont souvent consacrés à des sujets précis, tandis que les articles les plus généraux sont, au mieux, dans un état discutable. De fait, la rédaction des articles généraux constitue probablement un des problèmes les plus épineux de Wikipédia : c’est là que la qualité des sources est la plus variable (vous en connaissez, vous, de bons ouvrages de synthèse sur Qu’est-ce que l’économie ?) et que les règles du projet imposent de laisser une place à des sources que le chercheur moyen considèrera (à juste raison) comme inacceptables. Pour le contributeur débutant, il s’agit donc d’espaces à fuir.
Choisissez au contraire pour commencer un sujet pointu, bien délimité, pour lequel vous disposez d’une liste maniable d’ouvrages et d’articles, ou mieux, de deux ou trois revues de la littérature de bonne qualité : un chapitre de manuel, un Repères et une revue font parfaitement l’affaire.
Écriture : rédiger
Reste à créer l’article. La solution la plus simple à mon sens est de chercher l’article immédiatement plus général que celui qu’on envisage de créer (s’il n’existe pas déjà), insérer dans la rubrique « articles connexes » un lien vers l’article projeté, et en profiter pour recopier les catégories de l’article-père.
Arrivé à ce stade-là, la rédaction pose en général peu de problèmes : les synthèses sur lesquelles on s’appuie imposent peu ou prou la structure de l’article et on peut alors se familiariser avec l’introduction d’hyperliens ainsi qu’à l’usage des modèles.
Il est possible d’aller demander de l’aide aux contributeurs participant au projet concerné par l’article. Je ne suis pas sûr qu’il faille toujours commencer par là : présenter un article déjà un peu avancé me semble permettre une meilleure intégration qu’une déclaration d’intention, surtout quand on a commencé par prendre la peine de se familiariser avec l’encyclopédie.
Écriture : améliorer
Une alternative à la création d’article pour entrer sur Wikipédia est de dénicher un article sur un sujet qu’on connaît bien où le matériau serait déjà présent mais demandant une réorganisation assez importante ainsi que l’introduction des sources. Théorie des enchères constitue, au moment où j’écris ces lignes, l’exemple d’un tel article : énormément de contenu, tout un tas de références mais un manque criant de structuration, de synthèse des idées essentielles à destination du non-spécialiste et de développement des points plus précis en direction du spécialiste (par exemple le théorème d’équivalence des revenus).
Les contributeurs chevronnés auront remarqué que je propose de commencer par des entreprises de longue haleine. C’est que, il me semble, ces entreprises sont plus formatrices et aussi plus de nature à attirer rapidement l’attention et les respect des autres contributeurs que des corrections ponctuelles. Cela a aussi l’immense mérite, de mon point de vue, de tenir les débutants à l’égard des démoralisantes controverses de neutralité et autres guerres d’édition.
Pourquoi faire tout cela, d’ailleurs ?
Au fait, qu’est-ce qu’un chercheur a à gagner à faire cet effort ? À mon sens, le gain d’une contribution peut être considérable. Tôt ou tard en effet, un bon article ou un article de qualité (et il ne faut pas trop hésiter à se fixer cela comme objectif) va se retrouver en page d’accueil de Wikipédia. Cela signifie une exposition conséquente pour le domaine concerné (voir les statistiques de consultation pour l’article Histoire évolutive des lémuriformes, mis en lumière le 6 mars dernier), en-dehors du trafic provenant des recherches généralistes.
L’exercice constitue en outre un fin en soi : la discipline exigée par la rédaction d’articles sur Wikipédia m’a considérablement servi dans la rédaction de l’opuscule sur le prix unique du livre. Elle oblige aussi à balayer plus large que ce que couvre usuellement une revue de littérature, le cadre de l’encyclopédie obligeant à prendre en compte des éléments d’autres disciplines.
Enfin, inutile de se cacher derrière son petit doigt : l’utilisation d’un article ou d’un ouvrage comme référence pour un article (on parle de « source ») constitue une valorisation de l’ouvrage en question. Ce qui amène à une question : est-il légitime pour un chercheur de rédiger un article en s’appuyant sur ses propres travaux ? Je pense que oui, s’il s’agit effectivement déjà d’une synthèse et si d’autres sources sont également utilisées.
Ce billet étant déjà bien assez long, je parlerai un autre jour de la gestion des relations sociales.
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