Présentée en mai en Conseil des ministres avant son adoption en première lecture au Sénat le 5 juillet dernier, le projet de loi « Sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) est débattu à l’Assemblée nationale depuis ce mercredi 4 octobre. Rémy Gerbet, directeur exécutif, revient sur ce projet de loi dont certains articles peuvent mettre en danger le fonctionnement des communs numériques comme Wikipédia et Wikimédia Commons.
Après le DSA, encore un texte..
À première vue, le projet de loi SREN part d’un bon sentiment. Il veut lutter contre la désinformation, les arnaques et escroqueries en ligne, et le cyberharcèlement en particulier celui des mineurs. Avant la France, l’Union Européenne s’était déjà emparée de ce sujet avec l’adoption du Digital Services Act (DSA) le 5 juillet 2022. Le principe central du texte : ce qui est illégal hors ligne doit l’être aussi en ligne. Le texte, qui est entré en vigueur le 25 août 2023, fixe un certain nombre de règles concernant les très grandes plateformes (+ de 45 millions d’utilisateurs actifs chaque mois au sein de l’Union européenne).
Alors que le gouvernement français s’est montré très actif pour la rédaction DSA, à peine promulgué, il le fragilise en développant une législation parallèle et parfois contraire avec le projet de loi SREN. Pourquoi rédiger une législation supplémentaire ?
« Le DSA n’exige ni ne permet aux États membres d’adopter des mesures nationales de mise en œuvre en ce qui concerne le domaine qu’il couvre » a même souligné le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton dans le journal l’Informé (lien abonné), le 5 octobre dernier. Pour des plateformes à but non-lucratif comme Wikipédia qui est une plateforme mondiale, il est plus simple de se conformer à une législation commune à l’échelle européenne plutôt que de s’épuiser à essayer de répondre à chaque législation de chaque pays.
Toutes les plateformes n’ont pas les mêmes moyens
Le projet de loi SREN manque du bon sens qui avait prévalu à la rédaction du DSA. Alors que le DSA fait clairement des distinctions entre les types et les tailles des plateformes, le projet de loi SREN s’appuie sur la loi de 2004 sur la confiance dans l’économie numérique pour définir les sites en ligne concernés, qui sont en d’autres termes tous les services de communication au public et en ligne. Cette définition large inclue et met au même niveau les blogs, les sites marchands, les réseaux sociaux, et Wikipédia alors que ces sites ne font pourtant pas la même taille et n’ont pas les mêmes moyens de réaction.
C’est ainsi que certains des 36 articles du projet de loi risquent de fragiliser les plateformes comme Wikipédia et Wikimédia Commons qui n’ont ni les moyens financiers et humains de mettre en place des obligations supplémentaires instaurées par le projet de loi SREN.
Par exemple, l’article 3 du projet de loi SREN propose de retirer une image ou représentation de mineurs présentant un caractère pornographique dans 24 heures sous peine d’une amende de 250 000 euros. L’association Wikimédia France est totalement d’accord sur le fond de cette mesure et lutte contre toute forme de représentation pornographique des mineurs. Pour l’instant le système de modération des bénévoles et les filtres contre la pornographie ont permis d’éviter tous téléversements à caractères pédopornographiques sur les projets soutenus par l’association Wikimédia France. Comme chaque plateforme à visée éducative, nous veillons à ce qu’aucune image de ce type n’apparaisse.
Cependant nous ne sommes pas à l’abri de certaines exceptions. En 2008, l’organisme britannique de contrôle de l’Internet, avait fait bloquer la page Wikipédia dédiée au groupe de rock allemand Scorpions depuis la Grande-Bretagne, car on pouvait voir sur la la pochette de l’album “Virgin Killer” datant de 1976, une jeune fille nue. Si une image de pochette de CD par exemple était versée sur Wikipédia, il pourrait s’écouler plus de 24 heures avant réaction de la part de la communauté des bénévoles et l’association devrait payer une amende astronomique.
Wikipédia doit rester neutre politiquement
Autre point, le projet de loi SREN souhaite lutter contre la désinformation. En effet l’article 4 propose, que l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) puisse contraindre de stopper sous 72 heures la diffusion sur Internet d’une chaîne de “propagande” étrangère (RT, Sputnik) sous peine d’amende pouvant aller jusqu’à 4% du chiffre d’affaires.
Or, Wikipédia qui est une encyclopédie à visée éducative, recense des ressources et liens vers de sites étrangers à des fins pédagogiques (par exemple sur des articles sur la Russie). Pour que Wikipédia poursuive sa mission d’éducation, elle doit rester neutre politiquement. Cet article doit être adapté à sa mission éducative.
Enfin ce texte propose aussi afin de lutter contre la haine en ligne des mesures permettant de procéder au blocage des comptes détenus par la personne condamnée et d’empêcher la création de nouveaux comptes sous peine d’une amende pouvant atteindre 75 000 euros. Les projets soutenus par l’association Wikimédia France comme Wikipédia ne collectent aucune donnée personnelle. Par ailleurs, Wikipédia est administré par une communauté de bénévole sous couvert d’anonymat qui décident démocratiquement d’exclure un membre. Là encore l’article n’est pas adapté à l’encyclopédie en ligne et menace son fonctionnement au détriment du grand public.
Un projet de Loi au service des GAFAMs
À force de vouloir imposer des réglementations et des obligations supplémentaires qui demandent beaucoup de ressources à la fois humaines et financières, le gouvernement français fait le jeu des GAFAMs (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft ).
En effet, elles seules auront les moyens de se conformer à la loi en recrutant massivement et en développant de nouvelles solutions technologiques. Cela se fera au détriment d’un Internet alternatif, libre, collaboratif, ouvert qui ne dispose pas des moyens nécessaires.
Le DSA avait pris en compte cette situation et avait bien fait attention à graduer les obligations en fonction des types de plateformes et leur taille afin de ne pas empêcher l’émergence d’autres modèles.
Dommage que le gouvernement français n’ait pas eu la même sagesse.
Comme on dit en patois gaumais, c’est todi les ptits k’on spotche https://scan-r.be/cest-todi-les-ptits-kon-spotche/
Bonjour et merci pour votre travail et cet article? J’ai une question concernant la partie sur l’amende astronomique que devrait payer WMFr si une image de pochette CD problématique versée sur Wikipédia n’était pas retirée dans les 24 heures. Pour le gouvernement, l’association est reconnue comme hébergeur maintenant ? Ou c’est la Fondation qui devra payer l’amende ?
Non l’association n’est pas reconnue comme hébergeur cela pèserait sur la WMF et donc sur les finances du mouvement Wikimedia dans son ensemble. Bonne journée Sarah 🙂