Mercredi 23 novembre en fin de soirée était soumis au vote l’amendement 22 au projet de loi sur la copie privée déposé par le député Lionel Tardy. Nous avons déjà expliqué l’importance de cet amendement introduisant en France – comme c’est déjà le cas dans la plupart des pays d’Europe – la « liberté de panorama ». Importance pour les créateurs qui verront enfin leurs œuvres cesser d’être occultées sur Internet, et pour les citoyens qui auront enfin accès à l’art contemporain, en premier lieu celui qu’ils ont payé de leurs impôts.
Le député Tardy pensait donc consensuelle cette proposition de bon sens « qui devrait rencontrer l’unanimité parmi mes collègues puisqu’il s’agit de favoriser la diffusion et le rayonnement de l’art contemporain en France ». Consensuel car « beaucoup d’architectes et d’artistes contemporains sont pénalisés car leur œuvre n’est pas visible sur Internet, tout cela pour protéger le principe du droit exclusif, dont ils ne peuvent pas tirer grand-chose voire rien comme revenu financier ». Il a clos sur un nécessaire rapprochement avec la législation de la plupart des autres pays européens : « Beaucoup de pays européens ont inscrit cette exception de panorama dans leur droit, je vous propose de les suivre et de mettre fin à une situation ubuesque qui ne peut que nuire au principe même du droit d’auteur. »
Un débat s’est engagé, sans toutefois que les députés acceptent toujours de considérer le fond.
Néanmoins, la question a été posée avec clarté par MM. Dionis et Tardy. Les parlementaires sont conscients de ce que représente l’absence de liberté de panorama comme perte pour les citoyens privés de l’image de leurs propres villes, privés d’art contemporain ; pour les artistes à qui on refuse la diffusion de leur œuvre ; pour la France dont la diplomatie culturelle est gravement entravée.
Nous pouvons d’ores et déjà rassurer Mme Billard qui s’inquiétait, à juste titre, du sort des photographes professionnels puisque cette liberté facilitera leur travail en brisant des barrières qui les entravaient.
L’importance de la question a amené le groupe Nouveau Centre à demander un scrutin public (c’est à dire avec vote électronique et possibilité de savoir qui a voté pour ou contre, et non à main levée). 7 députés ont voté pour, 23 contre. Nous saluons ces sept députés ayant su prendre une hauteur de vue pour accepter une exception tellement évidente et de bon sens que la plupart des gens (y compris le ministre de la Culture, apparemment) pensent qu’elle existe déjà.
Le débat
Le débat et le vote sont visibles ici :
Débats à l’Assemblée Nationale.
Merci à Regards Citoyens pour la vidéo en format ouvert.
En voici la retranscription :
Marie-Hélène Thoraval, rapporteur
Cher collègue, je pense que vous exagérez un tout petit peu dans vos propos […] Certaines dispositions actuelles permettent déjà de satisfaire en partie votre amendement. Depuis la loi du 1er août 2006 sur les droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information […] l’article 122-5 du Code de la propriété intellectuel permet de « reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d’une œuvre d’art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d’information immédiate » et ceci est autorisé.
En outre la jurisprudence a permis de faire émerger ce que l’on appelle la « théorie de l’accessoire » […]
Donc j’émettrai un avis défavorable.
Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture
Il me semble que votre attention méticuleuse, M. le député Tardy, à tous les aspects du travail qui se fait sur le plan juridique notamment dans cette assemblée […] devient quelquefois vétilleuse, c’est-à-dire un peu trop méticuleuse et un peu excessive ! ET je pense que l’avis défavorable rendu par Mme le rapporteur est tout à fait justifié. Je rappelle que la liberté de photographier certaines œuvres que vous appelez de vos vœux est d’ores et déjà acquise en droit français et que, là, vous allez franchement un petit peu loin.
Patrick Bloche, PS
Simplement expliquer pourquoi nous ne voterons pas cet amendement. Car […] ce n’est pas parce qu’il faut régler un problème urgent avant le 22 décembre dernier [sic] qu’on va créer comme ça ex nihilo de nouvelles exceptions au droit d’auteur. Ce n’est pas qu’il faut [sic] que la main tremble quand on se saisit des questions de propriété intellectuelle […] mais on ne crée pas comme ça à 23h30 passées une exception au droit d’auteur sans d’abord qu’on en ait discuté avec les auteurs eux-mêmes […]. […] [Mais] il faut que l’intérêt général prédomine : autant on peut discuter de l’opportunité de l’exception au droit d’auteur à fin d’enseignement, de recherche, bref pour des buts d’intérêt général mais là on est vraiment sur un intérêt particulier qui est banalement puisqu’il faut appeler les choses par leur nom l’intérêt particulier de Wikipédia. C’est l’amendement Wikipédia rebaptisé gentiment « liberté de panorama ». Je voudrais d’ailleurs savoir puisqu’une étude d’impact serait au minimum nécessaire et le fameux test en trois étapes, mais il est trop tard pour en rappeler toutes les étapes. donc il serait utile de savoir ce qu’est finalement cette liberté de panorama dans un certain nombre de pays européens qu’on oublie de nous citer. En tout cas le but d’information est servi par l’exception au droit d’auteur créé dans la loi DADVSI et nous considérons qu’elle satisfait pleinement, elle par contre, l’intérêt général que doit poursuivre le législateur.
Marcel Rogemont (SRC)
Je n’ai pas grand-chose à ajouter par rapport à Patrick. Cependant, je trouve quand même que la volonté de prendre part et d’accompagner la commercialisation d’un site me paraît excessif et je trouve que là, notre collègue aurait dû être plus attentif à la défense de cet amendement parce que je crois comme l’a dit Patrick Bloche qu’avant de légiférer, il faut quand même avoir un minimum d’études d’impact que nous n’avons pas.
Jean Dionis du Séjour, Nouveau Centre
Franchement, je suis surpris de la réticence de nos collègues ! Il s’agit uniquement d’autoriser la reproduction d’œuvre de toute nature situées de manière permanente dans l’espace public et donc ça veut dire que des œuvres qui sont situées au vu, au su de tout le monde donnent des droit pour les héritiers notamment des architectes 70 ans après la mort de l’architecte : c’est complètement exorbitant ! C’est complètement archaïque ! Et donc qu’est-ce qu’on attend pour aller vers la législation des pays européens ?
Je suis surpris de la réaction de Patrick Bloche, en général on partage pas mal d’analyses : Wikipédia, c’est pas rien ! C’est pas rien, Wikipédia, c’est une percée en terme d’élaboration de savoir en commun, de partage de savoir en commun qui est une vraie percée majeure. Alors oui, si vous voulez l’appeler « amendement Wikipédia », appelons-le « amendement Wikipédia » mais en tout cas le problème est posé.
Pourquoi un certain nombre de pays européens considèrent qu’on a le droit de faire des photos de la Pyramide du Louvre et pourquoi pas nous ? On fait preuve d’un archaïsme injustifié. Ce n’est pas un petit amendement, c’est un amendement très important sur lequel il faut qu’on s’arrête et qu’on débatte parce que pour le moment j’ai pas vu beaucoup d’arguments de fond contre celui-ci.
Martine Billard, Parti de gauche
On a une difficulté qu’on a eue à d’autres moments dans le débat sur la culture, qui est la question des œuvres photographiques. Et moi je ne me sens pas à cette heure-ci sans une étude d’impact, sans discussion avec tous ceux qui travaillent dans la photo de prendre une décision sans en mesurer les conséquences. Parce que, on le sait, il y a de grandes difficultés dans ce secteur, une grande déstabilisation, ce ne sont pas des gens qui gagnent de grandes fortunes, les photographes. Donc, le fait que ce ne soit pas plus précis, notamment sur les conséquences en terme de distribution commerciale, me pose un problème en sachant qu’aujourd’hui il y a déjà des sites de photographes, hein, qui mettent à disposition sous licence Creative Commons. Donc, il y a déjà eu des avancées de ce point de vue. Je ne le voterai pas parce que je pense qu’il y a un vrai problème mais qu’en tous les cas, on ne fait pas comme ça, sans une étude sur les conséquences pour tout un secteur.
F. Mitterrand
Chacune des interventions que nous venons d’entendre est […] porteuse de questions essentielles pour un débat de fond pour la copie privée, seconde manière. […] Mais je rappelle que ce n’est pas vraiment le contexte dans lequel nous sommes ce soir. Le contexte dans lequel nous sommes ce soir n’est pas de reconstruire en quelques heures la copie privée alors qu’il est évident que ce sera un débat plus long, plus complexe, et où la réflexion des uns et des autres viendront enrichir la construction juridique d’une nouvelle institution très importante dont on espère qu’elle vivra aussi longtemps sous sa deuxième mouture que sous sa première mouture. Donc le fait de vouloir poser en quelque sorte de manière très superficielle des questions de fond mais qu’on aborde comme ça en passant, même si on y a beaucoup réfléchi mais qui ne nous laisse pas le temps d’un véritable débat de contre-expertise, de contre-travaux comme Mme Billard l’a évoqué en parlant du sort des photographes, ça me semble tout-à-fait contre-productif. Je me suis engagé très fortement auprès de la commission pour dire que nous engagerions ce débat le plus vite possible. Pour l’instant nous avons une obligation qui est de défendre les droits des créateurs pour qu’à partir du 22 décembre, ils ne soient pas lésés […] et quelles que soient les demandes d’intervention que je vois repousser comme les champignons après la pluie, je persiste très fortement dans cette manière de voir […]
Lionel Tardy
Pour repréciser ce qu’a dit Jean Dionis, à l’heure actuelle en France, les œuvres – bâtiments, sculptures, peintures murales, sont protégées par le droit d’auteur et elles le sont même – c’est tout l’intérêt de cet amendement – quand elles sont situées dans la rue ! Il est impossible d’en publier des photographies sans autorisation de l’auteur ou de ses ayants droit. Je vous prends des exemples, parce que personne n’a cité d’exemples. Publier sur votre blog une photo de la Géode ou du stade de France, du musée d’Orsay ou du centre Pompidou devrait normalement donner lieu à une demande préalable et un paiement de redevance. Et encore, dans ce cas, on a des architectes qui sont connus : bon courage pour demander l’autorisation aux ayants droit de celui qui a bâti votre mairie et dont personne ne connaît le nom ! Vous voyez un petit peu l’absurdité. Je rappelle que des pays comme l’Allemagne, l’Espagne, l’Irlande – on a demandé des noms – Israël ou le Pérou ménage une exception au droit d’auteur/copyright pour les bâtiments ou les œuvres d’art qui sont situées dans la rue – je précise bien dans la rue – et c’est donc tout le sens de cet amendement « liberté de panorama ».
Annonce de la demande de scrutin public par le groupe Nouveau Centre
Jean Dionis du Séjour
L’argument que je retiens à la fois de Marcel Rogemont et Martine Billard, c’est de nous dire – et en ce sens, ils ont raison – il manque une étude d’impact à cette affaire-là. On peut entendre cet argument, mais honnêtement on veut créer un mouvement et une dynamique parlementaire : on a le temps ! Il va y avoir deux navettes, l’étude d’impact le Sénat va pouvoir la faire, nous on va pouvoir retravailler dessus.
Aujourd’hui, est-ce qu’on veut ou non bouger cette législation complètement exorbitante et complètement archaïque ? Voilà la question qui est posée et donc d’ici-là vous aurez l’étude d’impact du Sénat, elle reviendra ici et donc ça nous appartient en tant qu’assemblée souveraine de dire « Bon voilà on remet à niveau du droit européen la France ». C’est tout. En faisant la liberté de panorama.
M.-H. Thoraval, rapporteur
Je ne peux pas douter de l’intérêt que vous ayez pour notre patrimoine mais je ne peux pas comprendre que vous puissiez réduire cet intérêt à un amendement à discuter ici à l’Assemblée ce soir sans avoir fait des études antérieures, avoir voulu travaillé sur des expertises qui permettent d’avoir une objectivité nécessaire, M. Dionis, par rapport à la problématique que vous proposez.
M. Rogemont
Je veux simplement dire à mon collègue que la simple profération de l’archaïsme ne suffit pas pour définir une argumentation. Moi je n’ai pas l’impression d’être en retard. Dans l’amendement qui est proposé, c’est quand même la commercialisation à partir de l’œuvre qui est en train d’être permise. Je crois que ça va bien au-delà de simplement dire ceci cela. Et c’est pourquoi je pense que la simple profération de l’archaïsme ne suffit pas à emporter mon consentement.
Vote
Merci à Regards Citoyens pour la vidéo du débat en format ouvert, et qui propose un compte-rendu complet du débat.