Ce mercredi 29 septembre, Wikimédia France a répondu à la consultation du gouvernement sur le décret d’application de l’article 42 de la loi confortant le respect des principes de la République. Voici notre réponse.
Wikimédia France regrette fortement que le législateur ait fait le choix d’une régulation uniquement par l’audience, faisant totalement abstraction du modèle économique et de la viralité des contenus des « plateformes ». En effet, la notion de « plateforme » est protéiforme et recouvre des réalités diverses et variées. A titre d’exemple du caractère inadéquat de cette approche, on peut relever qu’en l’état, Twitter, qui fait l’objet de nettement plus de demandes d’informations relatives à ses utilisateurs que Wikipédia6, sera exemptée des obligations visées au II de l’article 6–4 de la loi n° 2004–575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), alors que Wikipédia y sera assujetti.
La participation de l’association Wikimédia France à cette consultation ne constitue donc en aucun cas une acceptation implicite de ce modèle de régulation.
Sur la notion de « visiteurs uniques » et ses méthodes de calcul
L’association Wikimédia France observe que la loi confortant le respect des principes de la République se bornait à mentionner « un seuil de nombre de connexions déterminé par décret » , tandis que le projet de décret retient quant à lui un seuil fixé sur les « visiteurs uniques par mois ». Elle constate que l’approche diffère ici de celle qui avait été retenue pour le dispositif mis en place par la loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information. En effet, dans cette hypothèse, la loi avait également retenu « un seuil déterminé de nombre de connexions sur le territoire français » et son décret d’application s’était borné à reprendre ce vocable, sans mentionner la notion de « visiteurs uniques ».
Il s’infère de la lettre des articles 1er et 2 du projet de décret que la notion de « visiteurs uniques par mois » n’est pas définie, pas plus que la méthode de calcul de ces « visiteurs uniques par mois ».
- En premier lieu, la Fondation Wikimedia, hébergeur de l’encyclopédie Wikipédia ne comptabilise que le nombre de visites et non les « visiteurs uniques » par mois, conformément à sa politique respectueuse de la vie privée et des données personnelles des utilisateurs de l’encyclopédie.
- En second lieu, le nombre de « visiteurs uniques par mois » est susceptible de fluctuer sensiblement en fonction de la méthode (mesure centrée–site, centrée–utilisateur ou hybride) utilisée pour le calculer.
Sur le dépassement du seuil et le délai de mise en conformité
Nous saluons le délai de 6 mois de mise en conformité pour les opérateurs de plateforme en ligne dont le nombre de connexions dépasse les seuils. Un tel délai apparaît en effet particulièrement nécessaire. Nous observons toutefois une incertitude quant à l’interprétation combinée des alinéas 2 et 3 des articles 1er et 2 du projet de décret, éclairé par le commentaire présent sur ce projet.
L’alinéa 2 de ces articles prévoit en effet que les seuils sont calculés sur la base de la dernière année civile, ce qui implique que le dépassement ne pourra être constaté qu’au plus tôt au 1er janvier de l’année suivant celle où le dépassement aura lieu. Le 3ème alinéa de ces articles dispose quant à lui qu’un opérateur de plateforme en ligne dont le nombre de connexions dépasse les seuils disposera d’un délai de 6 mois pour se mettre en conformité avec les obligations afférentes au dépassement en cause. Toutefois, le commentaire de ces dernières dispositions précise : « Il est par ailleurs proposé de laisser à ces acteurs un délai de 6 mois, à compter de la date à partir de laquelle le seuil de connexions fixé par le décret serait dépassé, pour se mettre en conformité avec les dispositions pertinentes »
Ce commentaire laisse entendre que le délai de 6 mois commencerait à courir dès le « premier » dépassement des seuils, sans attendre que l’année civile en question soit achevée. Il semble y avoir là une contradiction, à tout le moins une imprécision qui mériterait d’être clarifiée.
En toute hypothèse, aucune précision n’est indiquée sur la personne sur laquelle pèse la charge de la connaissance du dépassement du seuil et de la notification à l’opérateur de plateforme concerné.
De telles imprécisions et incertitudes rendent le processus de mise en conformité plus difficile et coûteux et augmentent le risque juridique, en particulier pour des projets à but non lucratif comme Wikipédia.