Trois jours de rencontres pour contribuer à Wikipédia sur les thématiques LGBTQI+
Saviez-vous qu’en Iran, Maryam Molkara, une militante pour les droits des personnes trans a pu convaincre des imams et des juges de faire reconnaitre son changement de sexe ? Et que c’est grâce à l’Ayatollah Khomeini qu’elle a pu défendre sa position et gagner son combat pour pouvoir être opérée ? Ces éléments d’information figurent désormais sur l’article de Wikipédia qui lui est consacré, ainsi que l’ensemble de sa biographie de militante et combattante pour les droits LGBTQI+. Cette biographie est maintenant traduite en cinq langues. L’élaboration et l’amélioration de cet article et de bien d’autres encore ont pu se réaliser grâce à l’editathon « Write for the Rights » qui s’est tenu à Tunis du 22 au 24 mars 2019, en parallèle du festival du film queer de Mawjoudin. Cet événement a réuni une quinzaine de wikimédien·ne·s du monde entier (France, Inde, Norvège, Allemagne, Espagne, Tunisie, Royaume-Uni, États-Unis, Italie, Liban, Ukraine, Albanie, Russie et Nigéria).
L’objectif était d’améliorer le contenu en rapport avec la culture LGBTQI+ dans la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) et plus largement dans toute l’Afrique. Un focus a été mis sur les langues minoritaires insuffisamment représentées sur Wikipédia telles que l’arabe, le yoruba, le roumain, l’albanais, l’indien et l’ukrainien. Grâce à cette action ce sont 104 articles qui ont été créés et 17 autres qui ont été mis à jour dans 14 langues différentes.
Ce projet a dépassé la simple rédaction d’articles. En effet, un travail a été fait par ailleurs en partenariat avec les organisateur·trice·s du festival du film queer. Les wikimédien·ne·s venus à Tunis ont pu assister, avec les tunisien·ne·s, aux projections, concerts et autres débats de la programmation qui ont permis à la fois d’alimenter l’encyclopédie et d’encourager de nouveaux contributeur·trices à rejoindre la communauté Wikimédia.
Interview spéciale « Write for the Rights » Tunis
Un moment de questions-réponses a été organisé avec Houssem, coordinateur du projet, Sophie et Ayokanmi.
Comment vous avez eu l’idée d’organiser un tel événement dans de telles circonstances ?
« En tant que tunisien dont la langue maternelle est l’arabe, j’ai toujours consulté Wikipédia en arabe en premier lieu lorsque je cherche une information précise. Malheureusement, le résultat s’est souvent avéré décevant, et d’autant plus lorsqu’il s’agissait d’explorer des contenus en rapport avec l’éducation sexuelle et/ou la diversité de genre. Toutefois, cela ne m’a pas posé de problème pour atteindre ces informations dans d’autres langues que je maitrise, notamment le français et l’anglais. Il m’était donc aisé de combler ce manque dans ma recherche en consultant davantage les versions anglaise ou française des articles. Mais en 2018, lors de ma participation à l’editathon Wikipedia for Peace à Stockholm pour célébrer l’EuroPride, j’ai découvert dans la liste d’articles à créer des concepts tels que « système binaire » ou « drag queen » et d’autres notions de la sexualité qui ne figuraient aucunement dans la version arabe de Wikipédia. Je me suis alors interrogé sur la possibilité pour une personne ne maitrisant pas les langues comme l’anglais ou le français d’accéder à des informations importantes et objectives. De fait, on peut présupposer qu’une personne limitée à la lecture de textes en arabe sur Wikipédia est condamnée à lire des textes lacunaires et à limiter ses informations à des notions stéréotypées. J’ai alors eu l’idée de faire évoluer les choses par la participation à Wikipédia et pour partager les connaissances dans un maximum de langues sur ces questions, la première étape a consisté à faire venir la communauté internationale de Wikipédia à Tunis pour rompre avec les stéréotypes. »
Houssem
Qu’est-ce qui vous a motivé pour participer à l’événement ?
« Il était très important pour moi de venir à ces ateliers pour plusieurs raisons. En effet, j’y suis allée avec plusieurs casquettes, celle de référente du groupe local Provence-Alpes-Côte d’Azur de Wikimédia France, celle de co-créatrice des sans pagEs/Méditerranée (avec Anthère et Nattes à chat) pour combler le fossé des genres sur Wikipédia et, enfin, celle de créatrice de Didac’Ressources, une association qui lutte contre toute forme de discrimination et pour une formation de qualité pour tous. Sensible à la question des discriminations et surtout des oppressions que subissent les personnes LGBTQI+ dans plusieurs pays africains, il m’a semblé nécessaire de soutenir ouvertement cette cause par une modeste contribution. De fait, au cours de ces journées, nous avons pu rencontrer des personnes formidables comme Houssem, merveilleux organisateur qui nous a permis de travailler de concert et d’être très très efficaces pour produire des articles (plus d’une centaine) dans de nombreuses langues (environ une quinzaine), mais également de découvrir la Tunisie, et ses habitants. »
Sophie
En tant que wikimédien qui a déjà participé et organisé plusieurs editathons au Nigéria, qu’est-ce qui distingue celui-ci de ceux auxquels tu as participé ?
« Cette rencontre m’a permis de déconstruire l’image stéréotypée perçue parfois par la communauté internationale sur les personnes LGBTQI+ particulièrement au Nigéria et en Afrique de l’Ouest. J’ai ainsi pu découvrir une grande communauté qui vivait dans l’ombre, et je considère que nous avons pu donner plus de visibilité à cette communauté et la mettre en valeur sur Wikipédia. J’ai également pu rédiger des articles sur des sujets tabous en yoruba, et en traduire d’autres en anglais sur la communauté locale. Selon moi, la plus grande valeur ajoutée a été notre participation au festival du film queer où j’ai pu assister à des œuvres artistiques qui sont relativement inaccessibles au Nigéria, et j’ai également apprécié l’espace dont j’ai pu disposer pour présenter la situation atroce que vit actuellement la communauté LGBTQI+ nigérienne. Tout ceci n’aurait pas été possible sans l’intervention de Wikimédia Suisse qui a cru en moi et en l’organisateur, et a pris en charge toutes les dépenses de mon transport de Lagos jusqu’à Tunis. »
Ayokanmi
Comment pensez-vous que Wikipédia et les projets Wikimedia en général peuvent permettre de transmettre des savoirs accessibles à tous ?
« La question de la fonction de notre activité de contribution pour défendre des projets et donner accès à tous à l’information, mais aussi la possibilité de valoriser le savoir de chacun, pourrait être perçue comme trop subjective dans le cadre de l’écriture sur une encyclopédie et en quelque sorte de mener des actions militantes, je répondrais que, depuis que je suis entrée dans le mouvement, je trouve que justement la fonction pédagogique d’une encyclopédie dépasse la simple fonction d’information dans le sens où elle est aussi collaborative et que le fait de contribuer à une encyclopédie aussi connue et importante est non seulement valorisant et permet d’apprendre des informations utiles, mais aussi de développer l’esprit critique à travers le questionnement sur les sources pour toute personne qui s’y implique. Les rencontres telles que celle de Tunis et la prochaine, qui aura lieu à Marseille du 20 au 23 juin prochain, sont des occasions qui permettent d’évoquer des sujets aussi fondamentaux que les droits humains et plus spécifiquement de dispenser des informations dans des endroits où, par exemple, l’éducation sexuelle est un sujet tabou. C’est aussi le sens de la démarche du user group LGBTQI+ de Tunis. »
Sophie
Quel est, selon vous, l’avenir des événements « Write for the Rights » ?
« Suite au succès de ce 1er événement à Tunis, qui a pu se faire grâce à l’appui généreux de Wikimédia France et Wikimédia Suisse, et après une longue réflexion sur le potentiel du projet Write for the Rights, nous avons décidé de faire perdurer ce projet en organisant régulièrement des rencontres avec les personnes qui souhaitent s’impliquer pour organiser régulièrement et dans différents endroits, des événements qui permettront d’améliorer le contenu des projets Wikimédia en rapport avec tous les droits humains, en travaillant surtout sur les langues minoritaires, et en engageant les personnes venant des communautés vulnérables et qui sont les victimes directes de l’injustice sociale qui les prive de ces droits. Ainsi, du 20 au 23 juin 2019, avec Sophie et Léa Bouaroua le second événement de Write for the Rights à Marseille va porter sur le droit à la migration en proposant aux réfugiés de contribuer dans leur langue sur Wikipédia. Nous irons dans différents endroits de Marseille et aurons différents moments de contribution, de rencontres, d’échanges et de séances photo. Sophie a même proposé des événements en lien avec le Forum des habitants et les États généraux de Marseille mais aussi avec la Journée mondiale des réfugiés. »