L’Union européenne (UE) prépare un nouveau règlement relatif à la diffusion des contenus partagés en ligne.
Avec plus de 60 ONG et journalistes, nous appelons les députés européens à rejeter cette proposition, dangereuse pour la liberté d’expression et d’information.
La lettre en PDF, recopiée ci-dessous avec la liste des signataires :
Chers membres du Parlement européen,
Nous vous écrivons pour vous faire part de nos préoccupations concernant la proposition de règlement de l’Union européenne relatif à la prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne. Nous invitons les membres du Parlement européen à voter contre l’adoption de la proposition.
Depuis 2018, nous, les organisations de défense des droits humains, associations de journalistes et chercheurs soussignés, mettons en garde contre les graves menaces que cette proposition législative fait peser sur les droits et libertés fondamentaux, en particulier la liberté d’expression et d’opinion, la liberté d’accès à l’information, le droit à la vie privée et l’État de droit.
Grâce au travail de l’équipe de négociation du Parlement européen, à un débat élargi et à la participation de la société civile, un certain nombre de problèmes ont été abordés au cours des trilogues entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne.
Toutefois, malgré le résultat des dernières négociations du trilogue, le texte final de la proposition de règlement contient toujours des mesures dangereuses qui, à terme, affaibliront la protection des droits fondamentaux dans l’UE. Cela risque également de créer un dangereux précédent pour la réglementation des contenus en ligne dans le monde entier.
La proposition de règlement doit faire l’objet d’un vote final en plénière au Parlement européen en avril 2021. Nous invitons les membres du Parlement européen à voter contre l’adoption de la proposition pour les raisons suivantes :
1. La proposition continue d’inciter les plateformes en ligne à utiliser des outils automatisés de modération de contenu, tels que des filtres de téléchargement
Le court délai imposé par la proposition de règlement aux hébergeurs en ligne pour retirer le contenu considéré comme étant à caractère terroriste incite fortement les plateformes à déployer des outils automatisés de modération de contenu, tels que les filtres de téléchargement. Les pratiques actuelles de modération de contenu se caractérisent par le profond manque de transparence et de précision de la prise de décision automatisée. Parce qu’il est impossible pour les outils automatisés de différencier invariablement le militantisme, les contre-discours, et la satire à propos du terrorisme du contenu considéré comme terroriste lui-même, une automatisation accrue entraînera à terme la suppression de contenus légaux comme le contenu journalistique, le traitement discriminatoire des minorités et de certains groupes sous-représentés. Les plateformes suppriment déjà d’énormes quantités de contenus publiés par des survivants, des civils ou des journalistes documentant la violence dans les zones de guerre, tel que le montre le travail des Syrian and Yemeni Archives, ce qui peut entraver les efforts de responsabilisation. La proposition de règlement, qui manque de mesures de protection afin d’empêcher de telles pratiques de suppression erronées lorsque des outils automatisés sont utilisés, ne fera que renforcer cette tendance. En outre, les filtres de téléchargement peuvent avoir un effet négatif sur l’internet, notamment en ce qui concerne son architecture ouverte et ses éléments constitutifs interopérables.
2. Il existe un manque cruel de contrôle judiciaire indépendant
La proposition de règlement demande aux États membres de désigner, à leur discrétion, les autorités compétentes qui seront investies des pouvoirs nécessaires pour mettre en œuvre les mesures prévues par le règlement, notamment l’émission d’injonctions de retrait de contenu. Même si la proposition indique que les autorités doivent être objectives, non discriminantes, respectueuses des droits, nous pensons néanmoins que seuls les tribunaux ou les autorités administratives indépendantes faisant l’objet d’un contrôle judiciaire devraient avoir le pouvoir d’émettre des injonctions de suppression de contenu. L’absence de contrôle judiciaire constitue un risque grave pour la liberté d’expression et l’accès à l’information. Il porte également atteinte à la Charte des droits fondamentaux, qui protège la liberté de recevoir et de communiquer des informations et stipule que l’expression licite est protégée et ne devrait être limitée qu’ultérieurement, par un tribunal et sur demande légitime.
3. Les États membres émettront des injonctions de suppression transfrontalières sans aucun garde-fou
Selon les résultats du trilogue, toute autorité compétente aura le pouvoir d’ordonner la suppression d’un contenu en ligne, hébergé n’importe où dans l’UE, dans un délai d’une heure. Cela signifie qu’un État membre peut étendre sa compétence d’exécution au-delà de son territoire sans contrôle judiciaire préalable et sans tenir compte des droits des personnes dans les juridictions concernées. Compte tenu des graves menaces qui pèsent sur l’État de droit dans certains États membres de l’UE, la confiance mutuelle qui sous-tend la coopération judiciaire européenne pourrait être sérieusement compromise. En outre, la procédure de notification, émise à l’État membre concerné, et de vérification par ce même État, prévue dans le texte actuel, ne contient pas de garanties suffisantes contre une intervention excessive et les abus de pouvoir d’un État. Elle ne permettra pas non plus de résoudre les désaccords entre les États membres sur ce qui relève du terrorisme, de l’humour, de l’expression artistique ou du reportage journalistique.
De plus, elle créera un dangereux précédent pour toute future législation européenne réglementant l’écosystème numérique en faussant le cadre d’application de la loi sous prétexte de renforcer le marché unique numérique. Par conséquent, la réglementation sur les contenus terroristes dans son état actuel n’a pas sa place dans le droit européen.
Pour aller plus loin
Dans la continuité de la campagne de plaidoyer initiée par plusieurs associations, Wikimédia France a souhaité donner la parole à des acteurs très différents afin de recueillir leurs avis sur cette proposition de règlement.
La réponse est unanime : journaliste ou lanceur d’alerte, ce texte va considérablement mettre à mal leur mission, celle d’informer librement le grand public.
Signataires
- Access Now, International
- Amnesty International
- Antigone, Italian
- ARTICLE 19, International
- Asociația pentru Tehnologie și Internet (ApTI), Romania
- Association of European Journalists (AEJ), Belgium
- Bits of Freedom, the Netherlands
- Bulgarian Helsinki Committee, Bulgaria
- Centre for Democracy & Technology (CDT), International
- Chaos Computer Club (CCC), Germany
- Civil Liberties Union for Europe (Liberties), International
- Comité de Vigilance en matière de Lutte contre le Terrorisme (Comité T), Belgium
- Committee to Protect Journalists (CPJ), International
- Communia, International
- Digitalcourage, Germany
- Digitale Gesellschaft, Germany
- Digital Rights Ireland, Ireland
- Državljan D, Slovenia
- Electronic Frontier Finland (Effi), Finland
- Electronic Frontier Foundation (EFF), USA
- Elektroniks Forpost Norge (EFN), Norway
- Entropia e.V., Germany
- epicenter.works, Austria
- European Digital Rights (EDRi), International
- European Federation of Journalists (EFJ), International
- Fitug e.V., Germany
- Föreningen för digitala fri-och rättigheter (DFRI), Sweden
- Freemuse, International
- Global Forum for Media Development (GFMD), International
- Global Voices, International
- Helsinki Foundation for Human Rights, Poland
- Hermes Center, Italy
- Homo Digitalis, Greece
- Human Rights Monitoring Institute, Lithuania
- Human Rights Watch, International
- International Commission of Jurists, International
- Internationale Liga für Menschenrechte, Germany
- International Federation for Human Rights (FIDH), International
- Internet Governance Project, School of Public Policy at the Georgia Institute of Technology
- Internet Society, International
- IT Political Association of Denmark (IT-Pol), Denmark
- Irish Council for Civil Liberties, Ireland
- La Quadrature Du Net (LQDN), France
- Latvian Human Rights Committee, Latvia
- Liga voor de Rechten van de Mens, the Netherlands
- Liga voor Mensenrechten, Belgium
- Ligue des Droits de l’Homme, France
- Ligue des Droit Humains, Belgium
- Mnemonic, International
- Open Technology Institute, USA
- Panoptykon Foundation, Poland
- Ranking Digital Rights, USA
- Reporters Without Borders (RSF), International
- Rights International Spain, Spain
- Statewatch, the United Kingdom
- Vrijschrift.org, The Netherlands
- Wikimedia Deutschland, Germany
- Wikimedia France, France
- WITNESS, International
- Xnet, Spain
- 7amleh -The Arab Center for the Advancement of Social Media, Palestine